Alors que le souvenir des tragiques événements du 26 octobre 2014, jour où le militant Rémy Fraisse mourait en manifestant contre le projet du barrage de Sivens, est encore relayé par les médias, tandis que la mobilisation ne faiblit pas contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le cas de la contestation contre le grand stade de Lyon, implanté sur la commune de Décines, n’a pas fait l’objet du même relai médiatique. Pourtant, la ZAD, c’est-à-dire la Zone A Défendre, de Décines a existé et suscité une véritable résistance au projet. Récit d’une action avortée.
Sous le béton, la nature
Décines, ou plutôt Décines-Charprieu, est une commune de l’agglomération lyonnaise, implantée une douzaine de km à l’est de la capitale régionale. Comptant plus de 25 000 habitants, la cité a connu une croissance démographique très rapide, en raison de sa proximité avec Lyon : néanmoins, en dépit de la pression urbaine, Décines conservait des terres agricoles et des espaces sauvages, objets des convoitises du BTP. En premier lieu, la butte sur laquelle les Zadistes, qui se font appeler les « fils et filles de butte », vont installer leur campement, mais aussi la forêt dite de « Merlin » et ses chênes centenaires, ou encore l’ancienne prairie municipale, propice aux parties de football amateur, mais impropre aux crampons des protégés d’Aulas, l’homme aux commandes d’un projet pharaonique propre à assouvir son avidité de grandeur et à satisfaire son ego.
Le grand stade de Lyon ou comment favoriser des intérêts privés avec de l’argent public
L’OL Land, comme il est ironiquement appelé par les Zadistes, sort des tiroirs en 2007, année où la commune de Décines est proposée pour accueillir le nouveau stade de l’Olympique lyonnais ; dès cette annonce, les Décinois et Décinoises sont partagés à l’idée de devenir le rendez-vous des footeux et autres ultras tous les 15 jours en période de Ligue 1. Par ailleurs, plusieurs associations montent aux créneaux pour dénoncer l’impact urbanistique et environnemental de ce projet et ne cessent de pointer du doigt une anomalie : pourquoi des finances publiques devraient être injectées dans un projet bénéficiant aux actionnaires de la holding de l’OL à la tête de laquelle se trouve le tout-puissant Jean-Michel Aulas ? Dans un premier temps, le bon sens et le droit prévalent, puisqu’en juillet 2008, le commissaire enquêteur, sollicité pour se prononcer sur la révision du plan local d’urbanisme destiné à permettre l’implantation du nouveau stade, rejette la demande. Joie de courte durée : dès le mois de septembre suivant, l’avis est, par un coup de baguette magique, modifié et devient « favorable sous réserves ».
Une grand élan de mobilisation
Après quelques soucis pour concrétiser le financement du stade, le lancement du chantier est annoncé pour le 31 juillet 2013, soit moins de 3 ans avant le lancement de l’Euro 2016 ; dès lors, les travaux de la nouvelle enceinte vont fédérer les opposants à la bétonisation forcenée et les protecteurs de la nature : les fils et filles de « butte » s’installent sur place, montent leur campement et entament leur résistance pacifique. Dès le 3 septembre, l’assaut est donné par les forces de l’ordre ; les manifestants sont expulsés manu militari, la prairie herbeuse rageusement labourée…. Mais c’était sans compter sur la détermination des Zadistes qui réoccupent vite les lieux, se mettant à nouveau sous le coup d’une expulsion. Cette partie de cache-à-cache avec les autorités, cet acharnement à défendre, face aux pressions des milieux d’affaire, une nature qu’ils estimaient utile et profitable à tous a valu à de nombreux Zadistes d’avoir maille à partir avec la justice. Les passages au tribunal de militants de 15 à 60 ans se sont heureusement soldés, pour beaucoup d’entre eux, par de simples rappels à l’ordre, mais certains ont reçu de plus lourdes condamnations.
La course des bulldozers
Maintenus à l’écart de la zone par la répression policière, les zadistes ont eu beau se cadenasser aux grilles du site, escalader les grues géantes, s’allonger devant les engins de chantier, ils n’ont pu empêcher les machines de commencer à déverser les 120 000 m3 de béton. Toutefois, ultime baroud d’honneur, ils auront essayé d’interférer sur le bon déroulement d’un chantier qu’ils contestaient en intervenant sur la commune de Chassieu, où est aménagé l’accès au grand stade au mépris des arbres centenaires qui ombrageaient le site !
Au fil des mois, le grand stade de Lyon a balayé les opposants et forts de ses structures en béton armé qui meurtrissent une terre jadis fertile, il s’élancent désormais fièrement dans le ciel de Décines, bien plus haut que le ramage des plus vieux arbres qu’il a contribué à faire abattre et déraciner. Mais paraît-il, accueillir l’Euro a un prix ! En tout cas, un dirigeant lyonnais sait le bénéfice qu’il va tirer du nouveau grand stade, dont les travaux sont en voie d’achèvement : le « décimeur » de Décines peut garder le sourire.